Le dernier Houellebecq nous emmène à Bercy. Il n’en fallait pas plus pour l’évoquer dans ce blogue, consacré au 12e arrondissement de Paris, dont les lecteurs attentifs ont déjà pu noter que la plume de l’auteur contemporain le plus lu y était très appréciée.
Anéantir, c’est le titre. Sans majuscule. Je me demande si l’écrivain a retiré les majuscules de la page de garde, comme celles de son prénom et de son nom, en réaction à l’utilisation abusive, récente et souvent erronée des majuscules ou pour répondre à un usage occasionnel de la littérature française. Vous ne trouverez pas la réponse dans cet article qui n’est pas non plus une critique littéraire. Son premier objet est de recenser les passages sur le 12e, tout en les illustrant.
Balzac disposait de correspondants prêts à se rendre sur les futurs lieux des péripéties de la Comédie humaine, par soucis de réalité géographique de ses descriptions. Bien qu’admirateur du grand écrivain tourangeau, Michel Houellebecq ne semble pas avoir choisi cette méthode. C’est ce que vous découvrirez à la lecture de cet article.
Pourtant, le romancier souligne, dans ses remerciements, à la fin d’anéantir, qu’il s’est documenté précisément sur les sujets techniques abordés dans son livre. Il mentionne la correspondance qu’il a tenue avec des « gens directement impliqués dans les soins aux handicapées » (p.733). Les délicates questions des personnes en « état végétatif » et de la fin de vie (questions connexes mais heureusement pas identiques) sont prégnantes dans le livre. Elles seront aussi brièvement évoquées dans ces lignes car la campagne législative dans le 12e arrondissement ne manquera pas de les aborder.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il importe de préciser que les extraits relevés ci-dessous, sont issues de l’édition originale de Flammarion, sortie le 7 janvier 2022 (ISBN : 978-0802-7153-2) et, bien sûr, achetée dans une librairie indépendante du 12e, dès sa sortie. Les photos ont été prises par l’auteur du présent article.
Le ministère de Bercy vu par Houellebecq : « une citadelle totalitaire greffée au cœur de la ville » (p.257)
Sans évidemment rien révéler de l’intrigue d’anéantir, il faut savoir que le héros s’appelle Paul. Paul est conseiller du ministre de l’économie et des finances. Ce dernier s’appelle Bruno. Il est un potentiel présidentiel pour l’élection de 2027.
Il paraît que ce personnage secondaire, imaginé par Houellebecq, a fait rosir de joie l’actuel ministre. Étonnant quand on sait que le Bruno du roman vit comme un moine dans les appartements de la forteresse de Bercy. Quand il n’erre pas, la nuit, dans les couloirs de la galerie nord, vêtu « d’un pyjama gris déporté » (p. 37), le ministre fictif, polytechnicien de formation, ancien patron de « Dassault Aviation, puis d’Orano, enfin d’Arianespace » (p.43), bourreau de travail, préfère dormir dans une chambre d’enfant de son appartement de fonction, meublée d’un lit une place, et se nourrit de « sandwich Daunat maxi-moelleux au blanc de poulet-emmental » et se désaltère d’une Tourtel (p.41). Il est grand amateur de pizzas (p. 104 ou 282 ou 292 – NDL : l’auteur aurait pu parler de l’incroyable Pizzeria Chez Julia de la rue de Charenton).
Bruno a quitté son domicile conjugal en raison de problème de couple, dont le narrateur laisse entendre que son épouse multipliât les infidélités (p.38) et fût adepte d’improbables étreintes (p.45). Pour Bruno, « en dessous du milliard d’euros » l’argent, « ce n’était que des clopinettes » (p. 239).
Surtout le serviteur de l’Etat fictif ne tient à peu près aucun compte des directives européennes, selon la théorie du too big to fail (p.279). Il cherche à placer la France au premier rang mondial de certains domaines, comme celui du haut de gamme, l’armement, le nucléaire ou l’espace. Pour achever de convaincre, le romancier précise que son personnage connaît Musset par cœur et que : « certains hommes politiques sortaient de la rue d’Ulm en section lettres, cela aurait pu expliquer l’anomalie ; mais ce n’était pas le cas de Bruno. » (p.708).
Nous sommes donc loin du portrait de l’occupant actuel de Bercy, qui a comme mérite, cependant, d’avoir ouvert les portes du ministère de l’économie et des finances à Michel Houellebecq (une fois de plus, car le célèbre écrivain s’y était déjà rendu à l’invitation de son prédécesseur, Emmanuel Macron).
Et c’est ce qui nous intéresse ici car le Bruno du roman nous donne l’occasion de décrire la vue des appartements privés du ministère :
Le romancier décrit aussi précisément les appartements privés du ministre ainsi qu’un aspect des couloirs et halls sans âme du ministère, que je vous épargne, pour rejoindre au plus vite le cœur du quartier de Bercy.
Les « espaces légumes à la con » du parc de Bercy vu par Houellebecq
C’est réellement le héros, Paul, qui donne à découvrir le quartier de Bercy. Il s’est en effet endetté sur 20 ans, avec sa femme (enfin une histoire de vrai amour conjugal dans un Houellebecq) pour acquérir :
Pas de doute on y est. A quelques détails prêts. Rue Lheureux, il n’y a qu’une adresse et il ne s’agit pas d’un immeuble d’habitation mais un immeuble accueillant nombre d’entreprises du secteur tertiaire (bon les faits d’anéantir se passent en 2027, son affectation peut changer). Voici différentes vues de janvier 2022 de la rue Lheureux (qui tient son nom de l’architecte Louis-Ernest Lheureux (1827-1898), qui réalisa les halles à vin de Bercy) :
Vous l’avez compris, l’auteur d’anéantir s’est trompé. Cette rue n’est pas du tout aux abords du parc de Bercy. Elle donne certes, côté nord-est, sur le Musée des arts forains mais la chambre de cet appartement fictif qui est sur l’avenue des terroirs de France ne permet pas de voir ce beau lieu. Ses occupants verrait en réalité l’immeuble Lumière. Celui ne manque pas d’intérêt. Toutefois, il ne dépayse pas vraiment du ministère des finances (surtout qu’il accueille actuellement, entre autres, des services du ministère de l’Intérieur).
Et si une chambre à l’opposé de la rue Lheureux, la vue donnerait sur la place des vins de France, et plus loin vers d’autres immeubles, mais pas sur le parc.
L’auteur a certainement confondu avec les immeubles de la rue de l’Ambroisie (ci-dessous) qui correspondent davantage à la description du « splendide duplex avec deux chambres et un espace de vie magnifique, dont les baies vitrées donnaient sur le parc » de Paul.
Cela dit, comme pour la description de Bercy Village (hormis le détail erroné des ballons flottants en permanence), l’esprit de ce quartier et de son parc est parfaitement conté.
Une objection cependant, la Ville de Paris a enfin pris conscience des limites des permis de végétaliser et les a supprimés il y a peu. Espérons donc qu’en 2027 ; ces permis n’aient pas été réinstaurés. Dans le cas contraire, cela signifierait que la Gauche se soient maintenus aux élections municipales de 2026… et ce blogue n’aura peut-être plus d’utilité.
Quoi qu’il en soit, la description du parc ne manque pas de saveur pour ceux qui le connaissent :
il avait pris l’habitude de se lever tard ; vers midi il prenait la direction du ministère, flânait en traversant le parc de Bercy – il avait presque fini par aimer ce parc, avec ses espaces légumes à la con – puis le jardin Yitzhak Rabin.
Michel Houellebecq, Anéantir, p.103
Pourquoi cette vision acerbe ? Est-ce parce que c’est vrai ; parce que c’est Houellebecq ; parce que le héros, nihiliste, découvre, au fil de l’histoire, qu’il passe à côté de la vie ou de la grande bellezza ?
En tout hypothèse, la mention du parc de Bercy a un objectif de démonstration a contrario, plus tard dans le roman, dans un développement sur la force des paysages et la présence supposée de Dieu, selon le héro :
« Il avait envie de revoir certains paysages (…). Il s’arrêta à mi-parcours, sur une aire panoramique dont il se souvenait. On n’était qu’à quelques kilomètres de Villié-Morgon, mais les vignes avaient disparu. Le paysage de forêts et de prairies, absolument désert, lui parut baigné d’un silence religieux. Certainement, si Dieu était présent dans sa création, s’il avait un message à communiquer aux hommes, c’était ici, plutôt que dans les espaces légumes du parc de Bercy, qu’il choisirait de le faire. Il sortit de la voiture. « Quel est le message ? » se demandait-il, et il se sentit à deux doigts de crier la question, s’en abstint de justesse, de toute façon Dieu se tairait, c’était son mode de communication habituel, mais c’était sans doute beaucoup, déjà, ce paysage désert et splendide, baigné dans un silence total ; ça tranchait avec la vie de Paris, avec le jeu politique qu’il allait retrouver dans quelques jours. Le message était dans un sens limpide, mais on avait du mal à faire la relation avec l’existence terrestre de Jésus-Christ, marquée par de nombreux rapports humains, de nombreux drames aussi, les aveugles qui voient, les paralytiques qui marchent à nouveau, il s’intéressait même parfois aux miséreux, c’était presque politique par endroits. Ce paisible paysage du Haut-Beaujolais n’évoquait pas davantage les divinités mâle et femelle apparemment célébrées par Prudence [la femme du héro], on n’y distinguait rien de mâle ni de femelle, mais quelque chose de plus général, de plus cosmique. Cela ressemblait encore moins au Dieu de l’Ancien testament, querelleur et vindicatif, toujours en bisbille avec son peuple élu. C’était plutôt comme une divinité unique, végétale, la vraie divinité de la terre, avant que les animaux n’apparaissent et ne se mettent à courir dans tous les sens. La divinité était maintenant au repos, dans le calme de cette belle journée d’hiver, il n’y avait pas un souffle de vent ; mais dans quelques semaines l’herbe et les feuilles revivraient, se nourriraient d’eau et de soleil, seraient agitées par la brise. Il y avait quand même, enfin il croyait s’en souvenir, une sorte de reproduction des plantes, avec des fleurs mâles et femelles, le vent et les insectes jouaient un rôle dans l’affaire, d’un autre côté les plantes se reproduisaient parfois par simple division, ou en projetant dans le sol de nouvelles racines, à vrai dire ses souvenirs de biologie végétale étaient lointains, mais cela mobilisait quoi qu’il en soit une dramaturgie moins tendue que les combats de cerfs ou les concours de tee-shirts mouillés. »
Michel Houellebecq, Anéantir, p. 224 à 226
Ce paragraphe, peut-être inspiré à l’auteur de sa Near death experience, laisse clairement penser que le narrateur choisit une position spinozienne de la nature et certainement pas catholique, comme un retour à Bercy nous le montre.
« Il y avait une église près de chez lui, il s’en souvenait, Notre-Dame de la Nativité de Bercy ou quelque chose du genre. »
Dans notre sujet, l’une des descriptions particulièrement inspirées du roman est sans doute celle de la petite église de Bercy (qui avait aussi fait l’objet d’un portrait bien modeste dans ce bloque) :
« Un samedi du milieu de décembre, Paul se rendit à l’église Notre-Dame de la Nativité de Bercy. Elle était située place Lachambeaudie, à cinq minutes à pied de chez lui. C’était vraiment une petite église, probablement construite au XIXe siècle, incongrue dans ce quartier moderne, voire postmoderne. À quelques mètres il y avait les lignes du réseau ferré Sud-Est, les TGV pour Mâcon et Lyon passaient par là, son train était certainement de nombreuses fois déjà passé devant cette église sans qu’il ne soupçonne son existence. Un dépliant d’information lui en apprit davantage : construite en 1677 sous le nom de Notre-Dame de Bon Secours, l’église avait été détruite en 1821, car quasiment en ruines, puis reconstruite à partir de 1823. Elle avait de nouveau été détruite au cours de la Commune, puis reconstruite à l’identique un peu plus tard. Ensuite inondée lors des crues de la Seine de 1910, puis touchée en avril 1944 par le bombardement des voies de chemin de fer, elle avait été partiellement détruite par un incendie en 1982. En somme c’était une église qui avait souffert, et qui continuait de ne pas très bien se porter, elle était en ce samedi après-midi absolument déserte, et donnait l’impression de l’être à peu près en permanence. Si l’on avait voulu figurer les tribulations du christianisme en Europe occidentale, on n’aurait pas pu trouver mieux que l’église Notre-Dame de la Nativité de Bercy. »
Michel Houellebecq, Anéantir, p125-126
Le lien entre l’église de la Nativité et l’ensemble du christianisme revient une seconde fois, en passant par Proudhon, à la recherche d’un dentiste dans le 12ème arrondissement :
« Cela dit il avait mal aux dents, de plus en plus mal, surtout du côté gauche, même les mouvements de sa langue étaient devenus difficiles, il devenait impératif de faire quelque chose. Le site Doctolib lui permit de répertorier aisément les dentistes consultant dans le XIIe arrondissement. Beaucoup d’entre eux, si l’on en jugeait par la consonance de leurs noms, étaient juifs – encore une idée reçue qui se vérifiait, nota-t-il au passage. Il en choisit pourtant un, Bachar Al Nazri, qui était plus vraisemblablement d’origine arabe. Il le choisit sans raison précise, sinon que c’était pratique d’aller rue de Charenton en partant de son domicile : il suffisait, une fois passée l’église Notre-Dame de la Nativité de Bercy, de s’engager dans la rue Proudhon – une rue qui était en réalité plutôt un tunnel, creusé en dessous des voies ferrées partant de la gare de Lyon, il devait être bien des fois, sans en avoir conscience, passé en TGV au-dessus de cette rue ; on débouchait ensuite dans la rue de Charenton, à deux pas du métro Dugommier. Il était content de cette occasion qui lui était donnée de revoir l’église Notre-Dame de la Nativité de Bercy ; il avait l’impression dans sa vie de quelque chose d’inabouti avec cette église – et peut-être plus généralement avec le christianisme. »
Michel Houellebecq, Anéantir, p. 594-595
J’avoue avoir été un peu déçu que la traversé du tunnel Proudhon, qui ne comporte pas d’erreur topographique, n’ait pas plus inspiré l’auteur de La carte et le territoire. La « glauquitude » du tunnel Proudhon et l’origine de son nom se prête aussi à évoquer l’athéisme. Surtout que dans un autre support, Ennemis publics, Michel HOUELLEBECQ, avait pu assimiler l’athéisme à « un hiver définitif ». Mais ce tunnel nous égare.
A propos d’égarement, bien que anéntir comporte d’autres description de Bercy, je choisis de m’arrêter au milieu du gué ; ou plutôt de la Seine, comme le héros, avec ce dernier extrait :
« Il s’immobilisa au milieu du pont de Bercy. Sur sa gauche il faisait face au ministère de l’Economie, et au-delà il distinguait l’horloge de la gare de Lyon ; sur sa droite s’étendait le parc de Bercy. Sa vie s’était décidément déroulée dans un espace restreint, songea-t-il, et il en irait ainsi jusqu’à son terme, puisque derrière lui s’étendait l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, où selon toute vraisemblance elle allait prendre fin. »
Michel Houellebecq, Anéantir, p. 630
Je vous laisse sur ce suspens de la fin… de vie, qui est, avec l’état végétatif chronique (EVC) ou état Pauci-Relationnel (EPR), d’un autre personnage, le père du héros, le grand sujet de ce livre.
« En général, les patients en état végétatif réagissent davantage aux voix familières qu’aux visages, poursuivit l’infirmière sans se troubler. Donc il faut lui parler, n’hésitez pas à lui parler. »
La fin de vie est un thème du livre, tout comme celui bien différent du handicap. Pourquoi insister sur le différent ? Car le lien est parfois trop rapidement fait, notamment par les partisans du droit à pouvoir être mis à mort par une organisation administrative, dont le principal est bien connu du 12ème arrondissement.
Jadis, La Fontaine écrivait dans la fable « La mort et le bûcheron » : « Plutôt souffrir que mourir, c’est la devise des hommes ». Aujourd’hui, lorsque la vie devient synonyme de souffrance, un droit à la mort est de plus en plus revendiqué. Source : Alexandre Lunel, La fin de vie d’hier à aujourd’hui : étude historique et juridique, dans Les Cahiers de la Justice 2017/3 (N° 3), Dalloz, Dossier – La fin de vie, qui en décide ?, pages 403 à 411).
Pour aller plus loin et être totalement transparent, cette revendication au droit à la mort par l’Etat, qu’on nomme communément euthanasie me dérange instinctivement, celle du suicide me pose question, mais est plus acceptable.
Pendant des siècles, le suicide était un interdit moral, issu de la religion catholique, religion qui portait les fondements de la philosophie de notre législation. Je parle au passé, faisant mienne la conclusion de La fin de la Chrétienté, de Chantal Delsol (édition du Cerf, Paris, octobre 2021) dont le titre résume tout. Elle y définit la Chrétienté comme « civilisation [qui] est le fruit du catholicisme, religion holiste, défendant une société organique, récusant l’individualisme et la liberté individuelle. ». Il soutient que la Chrétienté s’est construit comme une inversion normative au monde romain (où le suicide était admis). Par une nouvelle inversion normative, initiée dès le 18ème siècle, le regard sur le suicide a radicalement changé. Progressivement, la prohibition des sépultures pour les auteurs d’un « crime contre eux-mêmes » a disparu. La pénalisation de l’acte suicidaire a été aboli avec l’édiction du code pénal de 1810 (Napoléon) et, sans faire une histoire du suicide ou de sa prévention, le débat sociétal a franchi une étape en passant du suicide à suicide assisté voire d’anticipation d’un suicide assisté, dans le cas où la possibilité d’exprimer une demande de suicide assisté ne serait plus permis.
Le suicide assisté est toujours aboli en France. Anéantir ne fait qu’évoquer la législation en vigueur (que vous pouvez retrouver ici).
Mais pour comprendre le débat actuel et le thème d’anéantir, il faut distinguer la question des directives anticipées, autorisées par la législation française, dans le cas particulier où le pronostic vital est engagé à très court terme. et, dans un cadre très restreint, la sédation profonde et continue, du suicide assisté.
Pour lutter contre la souffrance, le dispositif français actuel met en avant, pour les personnes en fin de vie, les soins palliatifs. On peut se désoler des carences administratives permettant de respecter la législation,, mais le principe est clair. Et anéantir met en avant un autre soin palliatif, c’est l’amour. Certains critiques ont pu s’étonner de cette apparition dans un Houellebecq. Cela se discute.
Mais anéantir va plus loin que la fin de vie.
Il évoque le cas d’une personne jugée par d’autre en souffrance alors que le pronostic vital n’est pas engagé à court terme. Or comme le pronostic vital est engagé dès notre premier souffle sur la Terre, la question de la fin de vie est sujet à discussion.
Plus précisément, après avoir évoqué la confusion entre la nature qui reprend ses droits et sa reconstitution dans des « espaces à la con » urbain, il parle aussi de la confusion de notre société entre conscience et fonction de communiquer, pour des personnes qui ont perdu cette faculté. Une personne en EPR est-elle encore consciente ? Houellebecq présente un personnage qui l’est. La réflexion sur la contemplation, avec le regard aiguisé du romancier, laisse songeur. Il nous permet de découvrir les unités EPC-VCR, comme le montre ce dialogue de anéantir, entre un médecin et le héros, à propos du père de ce dernier :
« Il était dans un état antérieurement qualifié de « végétatif » par les praticiens, mais la plupart d’entre eux récusaient maintenant le terme, craignant qu’il ne rappelle la métaphore usuelle assimilant leurs patients à des légumes, et qu’il ne s’agisse d’une ruse sémantique destinée à justifier par avance leur euthanasie ; ils préféraient utiliser celui d’« éveil non répondant », par ailleurs plus exact : le patient avait récupéré sa capacité à percevoir le monde, mais pas celle d’interagir avec lui. »
Michel Houellebecq, Anéantir, p.138
Déjà dans son ouvrage Interventions 2020 (Flammarion, Paris, octobre 2020), Michel Houellebecq s’était présenté comme opposant à l’euthanasie, dans son texte L’affaire Vincent Lambert n’aurait pas dû avoir lieu :
Notre devoir de prendre en charge ces malades, de leur assurer les meilleures conditions de vie possibles
Michel Houellebecq, Interventions 2022
Ce texte est initialement la préface du livre du professeur Emmanuel Hirsch sur l’affaire de la mort de Vincent Lambert, le 11 juillet 2019, décidé finalement par la justice, à la suite de six années de débats judiciaires (et j’ajouterai éthiques, politiques et sociétales).
La rédaction de cette préface est clairement le terreau qui a fait germer anéantir. L’auteur y montre que l’affaire Lambert n’aurait jamais dû exister si l’ancien infirmier, qui a été accidenté, n’avait pas été gardé, de manière totalement irrégulière, par le CHU de Reims, dans un couloir de soin palliatif, et avait été correctement orienté dans une unité EPC-VCR.
Connaître l’existence de ces unités spécialisées pour ce type de pathologie, dont le maître mot est l’absence de souffrance, justement offre un regard différent. Et le roman présente de manière particulièrement touchante la passion qui anime les professionnels de santé qui y travaillent. Leur philosophie sur l’accueil de l’entourage des patients et des cas, rares, de retour à un état de communication.
La lecture d’anéantir, à Bercy ou ailleurs, oblige à la réflexion. sur notre société et la solidarité qu’elle doit développer envers les personnes accidentés ou handicapés, ayant perdu la capacité d’exprimer leur volonté, plutôt qu’instaurer une législation qui permettrait à d’autres personnes de statuer en leur nom, si une vie est « indigne d’être vécue« .