Article publié en janvier 2011 sur le feu blogue "12ensemble"
Place incontournable de notre arrondissement, la Bastille évoque, selon le roman national écrit au XIXe siècle, la prison « du despotisme tyrannique, où sont enfermés de pauvres innocents que le peuple de Paris, spontanément, libère du joug royal ». Bien sûr, la prise de la Bastille demeure un symbole essentiel de notre Histoire. Mais, le recul aidant, nous pouvons appréhender l’histoire de ce lieu autrement, sans anachronisme.
Savez-vous, en effet, que la fermeture cette prison d’Etat était programmée par Louis XVI, tout comme la fin des lettres de cachet ?
Si vous voulez en savoir plus et sortir des lieux communs sur ce lieu disparu, devenu mythique, rendez-vous à la bibliothèque de l’Arsenal (bibliothèque de la ville de Paris) pour découvrir « La Bastille ou l’enfer des vivants ».
C’est en entrée libre du mardi au dimanche, de 12h à 19h. Nous vous la recommandons vivement. Vous pourrez y découvrir des objets (comme une maquette sculptée, en 1790, dans une pierre de la forteresse), des tableaux, dessins et plans de nos quartiers, des documents écrits exceptionnels comme ceux sortis des archives de la Bastille, ou relatifs à des procès célèbres (réplique du « Collier de la Reine », vêtements de Damiens, régicide manqué de Louis XV ou encore la supplique de Latude écrite sur du linge avec son propre sang !). Cette exposition comporte aussi des interviews vidéos exclusives de spécialistes, traitant des prisonniers les plus célèbres (Fouquet, La Voisin, Latude, Voltaire, Sade) mais aussi celles de Me Robert Badinter qui, avec l’engouement qu’on lui connaît, nous conte le système pénal d’Ancien régime et vous passionnera certainement.
Dépêchez-vous, en revanche, car cette exposition s’achève le 17 février. C’est à la bibliothèque de l’Arsenal, à ne pas confondre avec le pavillon de l’Arsenal où vous découvrirez la maquette du projet de restructuration de Halles, mais qui ne susciterez pas les mêmes critiques de ma part !
Cette plongé dans ce château médiéval, construit par Charles V le sage, vaut vraiment le coup. Côté douzième arrondissement, pour faire un peu d’anachronisme, on y apprend notamment que Louis XVI et son administration, comme annoncé plus haut, avaient envisagé de raser cette prison coûteuse, critiquée un peu plus chaque jour et quasiment vide (seuls sept prisonniers seront libérés le 14 juillet 1789). Une fois détruite, il était prévu de créer une place, arrondi et d’en faire un quartier agrémenté d’une promenade plantée (déjà), dans le prolongement de l’hôpital des quinze-vingts. Tout était prévu en 1784 – un plan de ce projet de Louis Corbet, est d’ailleurs à observer (ci-dessous) – mais cinq ans plus tard, les riverains du faubourg Saint-Antoine, pas content, ont un peu bousculé ce projet…
Il n’a pas été bousculé énormément car c’est quasiment un plan identique que le même Corbet proposera cinq ans plus tard, une fois la Bastille démolie, les pierres revendues et réexploitées (notamment pour construire le pont de la Concorde, toujours en place devant le palais Bourbon). Bien sûr, il n’était plus question de statue pédestre du roi mais d’une fontaine éléphant (qui sera détruite en 1833 pour faire place à la colonne de juillet) ni d’église Saint-Antoine, à l’emplacement de l’actuel opéra.
Pour les passionnés de droit, cette exposition est aussi l’occasion de réfléchir sur l’évolution de la répression pénale. En effet, la justice criminelle d’Ancien régime ignorait la peine d’emprisonnement (comme l’illustre l’ordonnance de Saint-Germain de 1670). La prison n’était qu’un lieu de passage. Dans ce système, la Bastille restait une exception. Elle était l’une des quarante prisons d’Etat et s’inscrivait dans un système particulier de régulation de la société des XVIIème et XVIIIème siècles. L’enfermement, qu’on peut qualifier aujourd’hui d’administratif car il était ordonné, par lettre de cachet préparée par l’administration royale et signée par le roi lui-même (l’exposition montre l’évolution de ces actes depuis Louis XIV jusqu’à Louis XVI), servait à écarter les fauteurs de trouble à l’ordre public (politique, économique, moral) ou familial. Aujourd’hui, il en reste l’hospitalisation d’office…
L’arsenal répressif reposait quant à lui sur des amendes d’une part et des peines afflictives et infâmantes d’autre part (pilori, carcan, galère, roue…). La peine capitale était elle-même précédée généralement de supplices. Pour l’exclusion sociale, il y avait le bannissement pur et simple. Le XVIIIe siècle et l’esprit des Lumières ont marqué un tournant. D’importantes réformes et réflexions ont été menées sur la nature des peines, dont vous verrez des témoignages à l’exposition ; en 1780, Louis XVI abolit la « question préparatoire » et en 1788 la suppression de la torture est définitive, le principe de motivation des peines s’impose, ainsi que l’idée d’un code unifiant l’ensemble des lois du royaume. Ces demandes se retrouvent logiquement dans les cahiers de doléances. Avec la Révolution, hormis l’amende qui est restée, la peine de privation de liberté devient la règle.
De nos jours, on peut même se demander si nous n’assistons pas à un nouveau tournant sur la nature de la peine. La peine la plus efficace doit-elle être forcément la privation de liberté, quelle que soit la violation de la norme sociale ? Au-delà de l’obligation d’activité en prison réintroduite en 2010 et du développement du bracelet électronique, un autre mouvement se développe : celui des peines complémentaires parfois définitives (interdiction de tenir un débit de boisson pour le proxénète, de gérer une entreprise, d’être assureur, incapacité de soumissionner à un marché public, retrait temporaire du permis de conduire pour le chauffard impénitent, retrait des allocations familiales et bien sûr inéligibilité pour l’élu qui abuse des pouvoirs confiés pour son mandat, etc.). En sanctionnant directement chez l’individu la source du délit et en le privant de sa capacité à le commettre à nouveau, ces peines ne sont-elles pas dans certains cas, plus pertinentes, tant pour la société que pour l’individu lui-même, que la privation de liberté pure et simple ?
Par exemple, si le conseil d’Etat reconnaissait que le fait de commander une campagne de communication sur les transports, avec les deniers publiques, lorsqu’on est candidat à l’élection régionale, dont la question des transports est un enjeux important, est une faute, la peine d’inéligibilité ne serait pas disproportionnée mais la sanction naturelle pour avoir abuser de ses prérogatives, n’est-ce pas ? La réponse très bientôt. En attendant, visitons la Bastille !
Matthieu Seingier