Telle est la dénomination d’une allée du parc de Bercy, située entre la rue Joseph Kessel et la rue François Truffaut, côté quai de Bercy, qui a été examinée lors du conseil du 12e arrondissement du 3 juin 2019.
Voici un résumé du débat, qui, malgré un sujet anodin, en dit long sur notre société :
Mme BARATTI-ELBAZ, Maire du 12e arrondissement, Conseillère de Paris :
“Nous passons à la délibération DEVE 68. M. SEINGIER, vous êtes inscrit sous cette délibération.”
M. Matthieu SEINGIER, Conseiller d’arrondissement :
“Merci. Je réserve mon vote. J’ai quelques questions. J’ai été très surpris de découvrir cette délibération. Je vais prendre toutes les précautions d’usage. Je ne diminue pas la douleur des proches des victimes de cet accident d’avion. Il y a eu 54 français. Ma réflexion concerne le choix de matérialiser une émotion sur un lieu de vivre-ensemble. Je crains que la concurrence victimaire s’en empare.
Désolé de jouer les Cassandre. Mais je maintiens qu’il y a un accroissement de revendications de toute part du statut de victime par différents groupes sociaux, ou désormais associations de victime, d’un accident majeur. Il faut se garder d’une forme de démagogie qui amène à une course aux victimes, chacun ayant les siennes. Je crains une instrumentalisation du compassionnel pour se donner bonne conscience et conjurer ce que l’on ne peut que déplorer. Peut-être que je me trompe. Le sujet est sensible. Pouvez-vous me dire quel est le lien entre le 12e arrondissement et cette catastrophe ? Merci.”
Mme BARATTI-ELBAZ, Maire du 12e arrondissement, Conseillère de Paris :
“La démagogie, ce n’est pas notre genre. Mme Catherine VIEU-CHARIER, quelques
éléments de réponse ?
Mme Catherine VIEU-CHARIER, Adjointe à la Maire de Paris, Conseillère de Paris :
“Je comprends le questionnement. Les gens qui sont touchés par des catastrophes, quelles qu’elles soient, ont besoin de se recueillir et ont besoin de lieux de recueillement. Dans les cimetières, dans les jardins, nous avons des plaques et des monuments qui viennent rappeler aux familles des victimes et aux Parisiens et aux Parisiennes qui se sentent concernés, car ils sont en empathie avec ces victimes, le souvenir de ceux qui ont subi des massacres, des assassinats ou encore de grands événements terribles comme la Shoah. Il y a aussi les accidents d’avion qui sont frappants dans l’imaginaire, car les victimes sont nombreuses. Il y a une projection qui se fait. Il y a aussi le besoin d’être ensemble et de réaliser un hommage de façon collective. C’est ce que les familles nous disent.
Nous avons beaucoup travaillé avec les parents des victimes du Bataclan. Les mêmes
motivations reviennent : empêcher l’oubli. C’est extrêmement important. Chaque fois que l’on prononce le nom d’un mort, il est toujours avec nous. C’est très important. Il n’y a pas de concurrence, de hiérarchie ou même de politique victimaire. Il y a simplement le désir de nos contemporains de se remémorer, de se souvenir et d’être ensemble dans un moment qui fait partie de notre civilisation.
Nous sommes les seuls êtres vivants sur cette planète à enterrer nos morts, à se souvenir d’eux et à les honorer. Cela fait partie de la grande civilisation. Toutes les religions du monde et toutes les civilisations font cela.
Il faut être passé par la perte de quelqu’un pour le comprendre. L’épaisseur de la vie vous fera peut-être comprendre cela. Je n’en étais pas non plus convaincue quand j’étais plus jeune. Quand on est plus jeune, on est tourné vers la vie. Dans ma délégation, j’accompagne des gens, mais aussi des moments d’histoire tragiques. Quand on a accompagné des gens toute sa vie, on peut comprendre.
Un exemple : le monument aux morts qui a été inauguré cette année au cimetière du Père-Lachaise et qui recueille les 94 500 noms de nos Poilus parisiens morts pour la France. Pendant un siècle, ils n’ont pas eu leur nom. Ce n’est pas que l’on ne voulait pas les honorer, mais la Ville n’avait jamais eu les moyens de faire le recensement de ces
hommes. Vous n’imaginez pas la charge émotionnelle que cela représente, 100 ans après. Alors, imaginez un accident d’avion, avec 250 morts. Mettons ces hommages au cœur de la ville.”
Mme BARATTI-ELBAZ, Maire du 12e arrondissement, Conseillère de Paris :
“Pour compléter avec des éléments plus terre-à-terre : c’est une demande de l’association qui nous a été formulée très clairement pour ce site. C’est donc un peu compliqué de dire non. Deuxièmement, c’est il n’y a plus beaucoup de place dans les cimetières parisiens pour installer ce type de plaques. Parmi les victimes, beaucoup étaient originaires du sud de la France. La proximité de la gare de Lyon était un élément déterminant pour eux dans la localisation du parc de Bercy. Nous nous sommes interrogés, pour être honnête. J’ai dit que nous avions un nombre d’allées limité dans le parc de Bercy et que ce n’était pas forcément la vocation du parc d’avoir des noms de crash aériens systématiques. Mais c’est la première fois, dans ce parc. Nous avons considéré que cette demande pouvait être acceptée, d’où la délibération d’aujourd’hui. Ce n’est pas un sujet facile. Mais au moins, le débat aura eu lieu entre nous. Maintenant que vous avez eu quelques éléments de réponse, une explication de vote ?”
Mme Isabelle TAVAUX, Conseillère d’arrondissement :
“Nous allons voter pour cette délibération, mais nous n’avons pas apprécié la façon dont Mme VIEU-CHARIER a comparé les personnes mortes pour la France et d’autres mortes dans un accident. Ce n’était pas très heureux.”
Mme BARATTI-ELBAZ, Maire du 12e arrondissement, Conseillère de Paris :
“Ce n’est pas ce qu’elle a dit. Elle a comparé l’importance de rendre hommage aux
victimes. Et notamment les victimes pour lesquelles il n’y a pas de corps. C’est peut-être le point commun entre certains Poilus et certaines victimes aériennes.”
M. Matthieu SEINGIER, Conseiller d’arrondissement :
“J’ai reçu une magnifique leçon et je vous en remercie. Je ne suis pas ici pour parler de
mes engagements, mais je suis aussi membre d’une association que vous connaissez bien, le Souvenir Français. J’ai été sous la pluie faire des quêtes en faveur de la rénovation des monuments aux morts, les 1er et 11 novembre. C’est un sujet que je connais. Ma question était autre. Merci.”