Lors du conseil d’arrondissement du 30 mars 2021, je me suis exprimé sur la proposition de nommer « André Léo », la passerelle BZ12, qui surplombe le jardin de Reuilly (photo ci-joint).
Cette délibération « André Léo » m’a embarrassé et voici les raisons, issues de mon intervention du 30 mars (seul le prononcé, qui a pu varié, fait foi) :
Paris a toujours honoré ses écrivains. A ce titre, Victoire Léodile Béra de son vrai nom, qu’on comparaît, en son temps, à Georges Sand, qui a aussi pris un prénom d’homme pour exister, peut mériter un tel hommage. Elle a eu la jolie idée de prendre les noms de ses deux jumeaux pour en faire son nom d’artiste André Léo. On peut saluer une vraie œuvre et, a
priori, on ne peut qu’être pour ce choix de lui donner une dénomination dans notre arrondissement.
Ce qui me gêne, c’est une fois de plus votre manière de présenter les choses dans l’exposé des motifs, en laissant penser, dès la première ligne que le choix de dénommer la passerelle qui surplombe le jardin de Reuilly est davantage présidé par son engagement temporaire pour la Commune de 1871 que pour son investissement d’écrivain, qui préexistait à cet épisode et qui a continué après tout comme son engagement en faveur de l’émancipation des femmes.
Or c’est une erreur historique que de croire que les enjeux d’égalité entre homme et femme était central dans la Commune de Paris, même si des femmes y ont contribué, à l’instar, précisément d’André Léo.
Pour illustrer ce propos : voir un article du 3 mars 2021, du site de France culture qui traite de l’idée reçue que la Commune de Paris serait une révolution féministe (en parlant d’André Léo) : cliquer-ici
Ce qui me gêne dans votre manière de présenter, c’est de laisser croire qu’il faut prendre parti pour ou contre la Commune.
Je le répète une fois encore, il hors de question pour notre groupe de rendre hommage à un mouvement qui, au-delà de sa motivation initiale, a eu comme conséquence l’atteinte à la liberté d’expression, l’atteinte au droit de culte, l’atteinte au droit de propriété, l’atteinte au libre accès à la fonction publique, sans parler des assassinats d’otages et la destruction de monument du patrimoine français.
Et d’ailleurs, André Léo ne disait pas autre chose dans un discours intitulé « La guerre sociale » qu’elle a tenu en 1871, au Congrès de la Paix, en Suisse où elle était réfugiée, qui est en ligne sur le site Gallica, que j’ai lu pour l’occasion et que je vous invite également à lire.
Je la cite :
« Plus que personne, j’ai déploré, j’ai maudit l’aveuglement de ces hommes – je parle de la majorité [elle est déjà inclusif] – dont la stupide incapacité a perdu la plus belle cause ».
André Léo, La guerre sociale, p.5
Cela dit, être contre un hommage à la commune de Paris ne signifie pas non plus être pour la terrible répression de la semaine sanglante.
Je dis qu’en tant que Français, il faut accepter l’histoire telle qu’elle est pour éviter d’en reproduire les erreurs.
Sinon, en voulant prendre parti, ce que je crains que vous ne fassiez à la lecture de votre délibération, on tombe forcément dans le travers de minorer la gravité des événements, comme André Léo, dans ce même discours.
Je cite deux exemples. Pour ne pas renier la Commune, elle est tombée dans le révisionnisme des victimes, qu’elle limite à 64 (bon, on peut se dire qu’elle écrit à chaud – p.15).
En revanche, concernant les destructions, elle est carrément dans la théorie du complot où elle affirme qu’elle ne sait pas qui a mis le feu et ajoute « quand on songe à l’intérêt qu’avaient telles personnes à la destruction de certains papiers » (p.15).
André Léo est clairement dans l’idée complotiste que « des gens » étranger à la Commune auraient brûlé les bâtiments de Paris. Elle ne parle pas d’un 11 Septembre, mais d’un 4 septembre 1870 (vous savez que c’est la proclamation de la République),
et elle considérait que les républicains étaient de faux républicains et qu’il y avait en réalité un complot monarchique (p.9 du discours).
Et quand André Léo ne peut nier des destructions, comme la destruction de la colonne Vendôme, voté par l’assemblée de la Commune, et mis à terre le 8 mai 1871, elle : « déplore des enfantillages démolisseurs »(p.13).
Bref elle est de mauvaise foi.
Pour autant, il ne faut jamais réduire l’auteur de l’homme ou la créatrice de la femme.
Par exemple, Paris a raison de comporter une rue « Gustave Courbet ». Il est plus connu pour son talent de peintre que pour sa participation à la commune et de la destruction de la colonne Vendômes, qui, comme vous le savez, portait en son sommet une statue créée par le sculpteur Crozatier, connu dans le 12e.
La statue de Crozatier existe toujours elle est aux invalides mais je ne le dis pas trop fort car cela va donner des idées aux pétroleurs d’aujourd’hui.
Bref, je vais conclure, en vous demandant, avant de nous prononcer sur cette délibération, quelle message envisagez-vous d’inscrire, dans l’hypothèse où cette délibération était adoptée, sous le nom d’André Léo ?
Pour la plaque de Gustave Courbet, il est écrit Gustave Courbet, peintre.
Envisagez-vous d’écrire son métier d’artiste, à savoir écrivaine voire militante de la cause des femmes (le mot féministe serait anachronique) ?
La réponse à cette question est déterminante pour notre vote.
Et cela est je crois aussi important pour la mémoire de cette auteure qui se méfier des personnes en recherche de pouvoir parlant aux peuples pour, je la cite, « au lieu de le porter le lecteur à la réflexion (…) exciter le lecteur à la haine et à la passion ».
En réponse, il n’y a pas de prise de position de l’exécutif du 12ème arrondissement sur le contenu de la plaque.
La délibération a ensuite été débattu devant le Conseil de Paris (dans la bâtiment reconstruit après la destruction des communards) où Valérie Montandon a proposé un amendement en faveur d’un indication plus neutre de la planque sur André Léo, qui a été rejeté.
Voici la plaque choisi par Anne Hidalgo :
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