Ce jeudi 21 avril 2022, Emmanuel Grégoire et Emmanuelle Pierre-Marie, respectivement premier adjoint d’Anne Hidalgo et maire du 12e arrondissement, ont exposé un soi-disant « nouveau Bercy Charenton », présenté comme « moins dense et plus vert ».
On peut en douter.
Mais avant de revenir en détail sur le nouveau pré-projet (3), la forme de la présentation nous a interpellé tant elle ressemblait à notre programme des municipales 2020 (1). La méthode pour aboutir à ce pré-projet est source d’interrogation également (2).
En préambule, pour ceux qui ne connaissent pas Bercy Charenton, nom d’un futur quartier qui correspond à la dernière réserve foncière de Paris et qui a déjà fait l’objet d’une création de ZAC en 2018, vous êtes invité à vous reporter au dossier spécial qui résume le sujet.
1. Nouveau Bercy Charenton ou tentative de copie du projet des Républicains ?
L’annonce du pré-projet s’est faite sous la forme d’une conférence de presse, sous les ors d’un des salons de l’hôtel de ville, sans prévenir l’opposition (pour ne pas changer). Pour résumer le propos, sans avoir à subir le communiqué de presse municipal officiel, il suffit de produire quelques tweets d’Emmanuel Grégoire :
Cela ne vous rappelle rien ? Pour mémoire, voici la page 8 de notre programme de 2020, consacrée à Bercy Charenton :
Et d’ailleurs, dès qu’elle a appris, ce 21 avril 2022, par hasard, que l’objet de la conférence de presse de l’exécutif de Paris serait consacré à Bercy Charenton, Valérie Montandon n’a pas manqué de le rappeler aussi :
Notre vision de Bercy Charenton a été tellement critiquée par les mêmes qui aujourd’hui se vantent de proposer de nouvelles ambitions pour ce site, « au nom de « écologie », qu’on est en droit de se demander ce qui les animer avant.
Petit rappel, durant la mandature 2014-2020, le porteur politique de l’ancien projet Bercy-Charenton était Jean-Louis MISSIKA. Il était en charge de l’urbanisme après avoir été le directeur de campagne d’Anne Hidalgo. Tel le personnage du maire du film (de sa jeunesse), La soupe au choux, Monsieur MISSIKA nous vendait « la modernité », avec de belles tours et du gazon autour, et ceux qui s’y opposaient étaient des grincheux. Mais laissons celui-ci, qui est décrit par le Parisien comme son « l’ex-tête pensante d’Anne Hidalgo », à ses affaires, car, après avoir été « rappelé à l’ordre par la commission de déontologie de la ville de Paris pour ses missions auprès de promoteurs immobiliers« , il est aujourd’hui visé par une enquête préliminaire du parquet national financier (PNF) pour « prise illégale d’intérêt ».
Cela dit, si la manière dont est présentée ce revirement de position de l’exécutif municipal peut faire sourire, nous sommes les seuls légitimes à regretter le temps perdu pour réaliser que le projet initial ne correspondait pas à Paris puisque nous le disons depuis 2014… et moi depuis 2010.
Est-ce que ce le nouveau projet d’avril 2022 l’est pour autant ?
Avant de répondre à cette question arrêtons-nous sur la méthode pour légitimer la décision.
2. Le nouveau Bercy Charenton, fruit de la concertation ?
Le communiqué de presse du 22 avril 2022 veut nous faire croire que ce nouveau projet serait issu de la réflexion du comité citoyen de 50 membres, que nous avons déjà évoqué dans ses pages, en juin 2021 (voir ici). A l’époque, je m’interrogeais sur la légitimité d’un comité encadré par des experts en orientation de débat.
J’ai d’ailleurs pu découvrir a posteriori que les membres du comité ne pouvaient avoir une réflexion globale sur le périmètre mais ne devaient surtout pas sortir des questions posées par un « plan guide », élaboré spécialement par les services de la SEMAPA, qui présente les seuls grands axes de la ZAC approuvé en 2018 qui doivent évoluer :
Ce rapport a été remis « en main propre », selon les termes de la Ville de Paris, à Emmanuel Grégoire, le premier adjoint, le 9 juillet 2021 : voir l’avis.
L’été arrivant, je n’avais pas trouvé utile de rédiger un article car, sans surprise, le comité a accouché de propositions convenus.
Il n’y a évidemment pas eu de remise en cause de l’organisation en sous-secteur, puisque cette ligne était imposée dès le départ, comme nous l’avons vu.
Cet avis comporte essentiellement du verbiage qui permet, en fait, de légitimer les délibérations de 2018, avec un peu de « green washing », terme marketing bien connu des sociétés qui ont besoin de maquiller de vert des produits anciens pour les rendre acceptables sur le plan écologique.
Ainsi, aucun des grands axes du projet, comme la construction de tours de grande hauteur n’est remis en cause. Où est la remise à plat annoncé ?
Pire, le comité valide l’idée de détruire partiellement la gare de la râpée inférieure (destruction qui avait fait l’objet en son temps d’une réserve de l’enquêteur public, sur le projet de ZAC).
A comparer ce qu’a annoncé Emmanuel Grégoire le 21 avril 2022 et l’avis dudit comité citoyen du 9 juillet 2021, on comprend que ce comité citoyen n’a en réalité servi à rien.
3. Nouveau Bercy Charenton, un pré-projet non abouti qui demeure insuffisant aux enjeux urbanistiques du Paris du 21ème siècle et des enjeux écologiques
Avant de commenter le nouveau projet, je vous renvoi à la lecture du dossier de presse disponible ici.
Cette forme illustre aussi un changement d’époque car ce « projet dévoilé » prend, dans les faits, la forme d’un dossier de presse et d’un article sur internet, mais en aucun cas celui d’un rapport public. Si un document plus précis existe, il n’est en tout cas pas disponible, à l’heure où ces lignes sont écrites, sur le site internet de la Ville de Paris.
La mandature Macron a pu institutionnaliser les décisions par diaporama, de type Power point, réalisé par des cabinets de consultant privé. On retrouve ici l’esprit. La communication passe avant le fond.
Le précédent projet demeure critiquable sur le fond mais il avait l’avantage d’être issu d’études circonstanciés, émanant de cabinets d’architectes. Ici on retient que la SEMAPA met en avant des dessins pour enfants :
Abordons désormais le fond.
Et commençons par un point positif : l’abandon des immeubles de 180 mètres.
En effet, il est indiqué que « le projet ne comportera pas d’immeuble de grande hauteur, soit supérieur à 50 mètres. »
Ce seuil de 50 mètres, pour qualifier un immeuble de grande hauteur, qui ne concerne que les immeubles d’habitations, est issu de l’article R. 146-3 du code de la construction et de l’habitation.
Par ailleurs, le dossier indique : « Le nouveau projet permet d’imaginer 3 500 nouveaux habitants et 3.900 emplois accueillis dans le futur quartier. » Pour mémoire, le projet de ZAC prévoyait d’accueillir environ 9 000 nouveaux habitants et près de 11 700 emplois.
Toutefois, comme il n’est pas question de revenir sur la répartition des secteurs, sur le refus de couvrir les voies ferrés (l’idée dit de « pas japonais », pour traverser une partie des voies a même été abrogée dans le nouveau projet) imposera donc la construction d’immeuble qui pourrait atteindre 50 mètres, ce qui reste très haut.
Par comparaison, l’immeuble Lumière (photo à gauche), qui est le plus haut du quartier, s’élève à 28 mètres.
Un tel projet de concentration d’immeubles préfigure de nouveaux îlots de chaleur urbains, encastrés, par surcroît, entre les voies ferrés. Un paradoxe avec le PLU dit bioclimatique, en cours d’élaboration.
Et la persistance à vouloir construire uniquement sur les emprise de pleine terre obère toute possibilité ultérieure de couvrir, même partiellement, le faisceau ferroviaire qui enclave déjà le quartier actuel de Bercy.
Bien au contraire, loin d’atténuer cet enclavement, le nouveau Bercy-Charenton en exagérerait les inconvénients puisque le seul axe de circulation centrale demeure encore et toujours la rue Baron le Roy.
Voici l’extrait du projet présenté le 21 avril 2022 :
Dans une perspective de frugalité, la rue Baron Le Roy incarnera un élément majeur dans la réponse à apporter. Sa conception a été adaptée pour tendre vers davantage de sobriété, avec une rue d’une part plus respectueuse de l’environnement préexistant, tel que les bâtis patrimoniaux et les écosystèmes naturels en place, aboutissant sur un tracé plus sinueux. Elle favorisera une mobilité vertueuse avec des trottoirs généreux et le développement de pistes cyclables et de sites dédiés pour le transport en commun.
Dossier de presse du 21 avril 2022
Cela en est presque poétique mais il suffit de voir cette rue pour comprendre que cela n’est pas très réaliste.
Pour mémoire, le plan de situation, accompagnant la délibération sur la ZAC adopté (sans nous) en 2018 indiquait :
« Le projet s’organise autour d’une trame viaire principale constituée du boulevard Poniatowski réaménagé dans sa traversée du quartier et la rue Baron-le-Roy prolongée.(…)
La rue Baron le Roy existante prend fin au niveau du bâtiment Lumière. D’une largeur de 25 à 30m, la rue prolongée devra prendre en compte les contraintes de franchissement (périphérique et ouvrages ferroviaires projetés) tout en assurant la fluidité et la continuité des parcours, avec des circulations majoritairement douces. Le croisement avec le boulevard Poniatowski est déterminé par les possibilités de traversée de la plateforme tramway et le passage sous les appuis du périphérique. Un accès à la zone ferroviaire du faisceau jardin est aménagé afin d’assurer la maintenance et la desserte des activités ferroviaires.
Les secteurs d’aménagement et les nouvelles constructions sont principalement desservis depuis cette voie nouvelle, véritable colonne vertébrale du projet sur laquelle plusieurs voies de desserte locale se connectent. »
Or, malgré cette mise en garde (en précisant que dans le calcul de la largeur de la rue, les trottoirs sont compris), rien dans le dossier de 2018 ne garantissait que cette voie, très étroite, puisse absorber les différents types de circulations (sauf à mettre tout le monde à vélo).
Et la rue n’a pas changé depuis 2018…
Déjà en 2008, l’APUR émettait des réserves en incitant à limiter l’accessibilité de cette voie qu’à certaines catégories de véhicules, ceux à destination des gares de fret, aux cyclistes et aux piétons, afin d’éviter l’envahissement du quartier de Bercy par de nouveaux véhicules automobiles en provenance de la ZAC.
La liaison entre Charenton et Paris, se révèle donc pour le moins aléatoire et rien ne garantie le désenclavement du quartier de Bercy actuel qui au contraire pourrait se retrouver d’autant plus saturé en terme de circulation.
La seule solution passe donc par une réflexion sur les voies ferrés, comme l’APUR l’avait menée en 2008 et comme nous l’avions aussi proposé, dès 2014, dans notre programme municipale, proposition renouvelée en 2020.
Pour finir, nous reconnaissons que le projet évolue sur le nombre d’espaces verts, comme nous l’avions aussi réclamé.
Mais nous souhaitions aussi des immeubles à taille humaine, c’est-à-dire pas plus de R+8.
En termes d’activité économique, le nouveau projet manque de clarté.
Notre projet porte sur deux axes forts :
- Un pôle économique, fer de lance de I’Est parisien autour de la croissance verte et de I’agriculture urbaine ;
- La rénovation des tunnels baron Le Roy (gare de la râpée inférieur) autour de l’artisanat, de la gastronomie et enfin d’un lieu festif.
Si fort heureusement le nouveau projet de la Ville s’est engagée à préserver les tunnels Baron Le Roy (et même d’autres bâtiments, déjà là, comme celui ci-dessus) ses contours ne sont pas à la hauteur des enjeux écologiques, économiques, du rééquilibrage métropolitain et de la nécessité de recoudre un territoire déchiré par les grandes infrastructures ferroviaires et routières.
L’étape suivante devrait être une délibération du Conseil de Paris, après avis du conseil d’arrondissement, dès juillet ou à l’automne, afin de modifier officiellement la ZAC et arrêter les nouveaux objectifs de l’opération ainsi que les modalités de la concertation réglementaire.
Selon la direction de l’urbanisme : « Il s’agirait ensuite, à partir d’un plan guide stabilisé et d’un équilibre programmatique et financier consolidé, de constituer le nouveau dossier de création de la ZAC et d’actualiser l’étude d’impact qui seront soumis à enquête publique, en vue d’une délibération du Conseil de Paris courant 2023.«
En parallèle de la modification de la ZAC, un nouveau protocole foncier avec la SNCF, propriétaire des emprises, devra également être mis au point.
Nous, élus du groupe « Changer Paris » du 12ème arrondissement, serons à nouveau force de proposition, pour porter, comme nous le faisons avec constance depuis 2014, une vision alternative, respectueuse du patrimoine et de I’histoire du quartier de Bercy, en phase avec les défis de notre époque, notamment environnementaux.
2 Commentaires
Une question essentielle demeure à mes yeux :
Si, comme l’affirme Emmanuel Grégoire : « Imaginé il y a plus de 15 ans, le premier projet de Bercy-Charenton #Paris12 ne répondait pas aux défis d’aujourd’hui et de demain. »,
…. comment prouver qu’un projet imaginé aujourd’hui ne sera pas obsolète quand il sera achevé et à fortiori 15 ans plus tard ?
Auteur
Je vois que vous aimez le sophisme. Évidemment, il n’y a pas de réponse car la politique n’est pas une science. Et heureusement. Le 12e possède dans ses terres les stigmates des conséquences tragiques d’un régime qui se piquait de ne raisonner que par la raison !
Pour autant, les sciences, comme l’histoire, l’urbanisme ou même la science de l’environnement, pouvaient déjà, il y a plus de 15 ans, nous permettre de dire que le projet de Bercy-Charenton proposait en 2014 étaient incohérent avec les spécificités de Paris, l’écologie voire même (c’est une opinion plus personnel, que je peux argumenter plus longuement, le cas échéant, avec l’objectif de création d’un grand Paris, au sens d’une nouvel collectivité territoriale ad hoc).
Déjà en 2014, nous pouvions savoir que les tours à Paris sont une aberration au regard des caractéristiques de la Ville, de sa densité, et de leurs coûts pour qu’elles soient réellement écologiques. En outre, l’objectif des promoteurs de l’ancien projet était de marquer l’entrée de Paris par des symboles, des « tours qui dialoguent entre elles » !
Cette métaphore me paraît bien inférieure que celle du « chainon manquant », entre Paris et Charenton, qui évoque à elle-seule la nécessité d’atténuation des infrastructures qui cloisonnent les espaces. Mais au plaisir d’en rediscuter, Manuel, car nous n’avons pas fini d’évoquer Bercy Charenton.